Musiques de films - Droits d'auteur et droits voisins de l'artiste-interprète - Edition coercitive - Comment la cour d'appel de Paris continue de se mélanger les pinceaux - Commentaire sur l'arrêt du 14 septembre 2022, 20/13716 (1ère partie)

Publié le par François PALLIN

Dans son magazine n°108, la SACEM dénonçait enfin une pratique spoliatrice des auteurs, et largement répandue dans le milieu de la production audiovisuelle, sur la base d'une enquête de la SNAC (Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs) : L'édition coercitive.

Dans notre espèce, les faits se présentent ainsi : Un producteur de film engage un auteur compositeur et artiste-interprète pour créer la musique de son projet. Il signe avec lui un contrat de commande de la musique, régi par le régime des droits voisins, puis va le forcer à signer en plus un contrat d'édition, celui-ci étant régi par le régime du droit d'auteur (étant précisé que si l'auteur/artiste refuse, il sera aisément remplacé, voire blacklisté dans un milieu assez restreint).

Deux régimes distincts se superposent. La précision est importante, puisque c'est précisément sur ce point que bon nombre de praticiens, dont des magistrats chevronnés parviennent encore à se mélanger les pinceaux, notamment lorsque la même personne cumule la double casquette d'auteur/artiste.

But de la démarche ? Bénéficier des droits d'auteur au titre du contrat d'édition sans jamais assumer la casquette d'éditeur.

Qu'est-ce qu'un éditeur à la base ?

L'éditeur était notamment celui qui dans des temps immémoriaux se voyait céder la titularité des droits de l'auteur et pouvait par exemple en matière musicale vendre les partitions... Un brin désuet donc. Son rôle a été depuis élargi, l'éditeur doit globalement assurer la promotion et la diffusion de la musique de manière "permanente" et "suivie".

En pratique l'éditeur n'a pas besoin de faire grand chose et peut se contenter de rester parfaitement passif sans que le juge n'y trouve quoique ce soit à redire. A l'exception d'une obligation d'ordre public : l'obligation annuelle de rendre les comptes, seul défaut que le juge accepte de sanctionner, notamment par la résiliation du contrat d'édition et la libération des droits de l'auteur. Autrement dit, de nos jours, pour être dans les clous et sans caricaturer, il suffirait pour un éditeur de rendre annuellement des comptes à 0, pour ne pas être ennuyé et continuer de profiter de son potentiellement juteux contrat.

La casquette d'éditeur est très lucrative, elle peut ainsi permettre de toucher : 50% des recettes générées par la reproduction mécanique (cd, dvd, supports audio), 1/3 des droits d'exécution publique (chaque fois que la musique est diffusée quelque part), et le plus fou : 50% des droits de synchronisation.

La synchronisation, c'est par exemple l'utilisation de la musique dans un autre cadre, comme une publicité. Pour pouvoir utiliser cette musique, le créateur de la publicité contacte l'éditeur, lui demande s'il accepte de lui céder les droits, lui demande son prix, et l'éditeur dit oui ou non. Pas très exténuant, vous me direz. Et bien vous avez raison, mais ça peut rapporter gros.

Le producteur de film qui n'est pas un éditeur de métier (et qui s'en fout) fait donc un pari, si la musique du film cartonne indépendamment du film, alors je vais gagner beaucoup d'argent, sinon tant pis, je m'en fiche, ce n'est pas mon coeur de métier.

L'éditeur de métier lui ne s'en fout pas, puisque son intérêt découle directement du succès des oeuvres, donc il a un intérêt à les promouvoir et à les faire connaître ce qui engage un cercle vertueux pour toutes les parties. Le noeud du problème réside là. L'accaparement d'un métier par des professionnels uniquement désireux de mettre la main sur un magot potentiel mais qui par leur indifférence tuent toute possibilité d'émergence de l'oeuvre.

Rappelons ensuite que le contrat d'édition type, qui n'est jamais négocié par le commun des auteurs, est complètement exorbitant.

Les droits de l'auteur sont cédés pour la totalité de la durée des droits (c'est à dire 70 ans après le décès), certaines clauses évoquent la cession territoriale la plus large possible (il est parfois question de la galaxie entière voire de l'univers connu et inconnu), pour tous les usages possibles.

Droits exorbitants cédés sans la moindre contrepartie véritable. Qu'est-ce qui pourrait mal tourner ?

Nous nous rapprochons de la décision du 14 septembre 2022 de la cour d'appel de Paris qui est d'une nullité consternante sur bien des aspects.

A SUIVRE ICI.

 

 

 

 

Publié dans Chroniques juridiques

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