Ecrans brisés (téléphone, ordinateur, téléviseur), et le vendeur refuse la garantie, quelles solutions ?

Publié le par François PALLIN

Le domaine des produits défectueux paraît tellement semé d'embûches que le consommateur lésé pourrait se décourager d'initier une procédure alors que le droit est pourtant de son côté.

De quoi parle-t-on ?

Vous achetez un téléviseur, un ordinateur portable, un téléphone, et vous remarquez dans les jours, semaines, mois qui suivent son achat que l'écran s'est fissuré.

Vous contactez le SAV du centre commercial où vous avez acheté votre produit qui vous renvoie directement gérer le problème avec le SAV du fabricant (par exemple Samsung).

Or déjà à ce stade il y a entourloupe :

Celui qui juridiquement doit répondre du défaut du produit n'est pas le fabricant mais bien le vendeur !

En droit français, il faut se rapporter à l'article L217-3 du code de la consommation : "Le vendeur délivre un bien conforme au contrat (...) Il répond des défauts de conformité existant au moment de la délivrance du bien (...) qui apparaissent dans un délai de deux ans à compter de celle-ci".

En droit belge, l'article 1649 quater §1 du code civil précise de manière analogue que "le vendeur répond vis-à-vis du consommateur de tout défaut de conformité qui existe lors de la délivrance du bien et qui apparaît dans un délai de deux ans à compter de celle-ci".

La protection des consommateurs est donc harmonisée au sein de l'Union européenne puisqu'elles découlent notamment des directives 2019/771 du 20 mai 2019, du règlement 2017/2394 et de la directive 2009/22/CE.

En vous redirigeant vers le fabricant, le SAV du commerçant lui refile la patate chaude et le consommateur se retrouve avec comme interlocuteur exclusif, un fabricant expert dans l'art de refuser d'office toute garantie.

C'est le cas de la marque SAMSUNG, où il suffit de faire une brève recherche sur internet pour constater que ses experts diligentés pour diagnostiquer le défaut vont systématiquement conclure qu'il est en toute circonstance imputable au consommateur, sans même procéder à une recherche sérieuse des causes de ce défaut (ce serait évidemment trop coûteux).

C'était le cas dans mon dossier, où des bris étaient apparus 2 jours après le déballage sur l'écran d'un téléviseur samsung : les experts sont venus 5 minutes, ont pris 3 photos, sont repartis en concluant "Aucun défaut technique n'a été détecté. Seulement des dommages externes, impact sur l'écran". La garantie est refusée.

Photos de la télévision prises par les experts Samsung

Pire encore, à la suite du couperet du refus de la garantie, Samsung revient à la charge (parce qu'il ne faudrait pas laisser le consommateur totalement désœuvré), en proposant la réparation du téléviseur à un prix plus élevé que le téléviseur acheté neuf ! Grandiose.

Tout cela est manifestement abusif à plusieurs titres.

Problème n°1 :

Le seul constat de brisures externes n'est pas suffisant pour annuler la garantie ! La loi est claire : "sauf preuve contraire" tout défaut de conformité qui apparaît dans un certain délai (par exemple 6 mois en droit belge) est présumé exister au moment de la délivrance.

Autrement dit, vous pouvez avoir acheté un écran parfaitement normal en magasin, si des brisures apparaissent par la suite, vous êtes garanti sauf si le vendeur démontre que le défaut a été causé par vous (par exemple si vous avez vous-même donné des coups au pauvre téléviseur - c'est bien connu les gens qui viennent d'acheter un téléviseur une blinde s'amusent à le cogner une fois ramené à la maison).

Le consommateur lambda d'après Samsung

Problème n°2 :

Pour le commun des mortels, un écran brisé est forcément lié à un coup, ou consécutif à un choc reçu. Mais c'est faux. Voir par exemple cet article qui montre comment un défaut dans la tension interne des composants d'un écran peut provoquer ce type de bris sans la moindre intervention externe.

Plus globalement on peut s'interroger sur la qualité "low cost" de téléviseurs toujours plus grands, toujours plus fragiles et toujours moins chers (ce qui reste relatif). Est-ce qu'un produit susceptible de se briser en 1000 morceaux au moindre déplacement ou micro-choc (parce qu'il faut bien les installer quelque part) est conforme à l'utilisation habituelle de ce type de biens ? Le doute est plus que permis.

Retour à mon dossier : les photos des experts samsung auraient pu impressionner le juge et l'amener également à conclure que le défaut ne pouvait que provenir de ma cliente (même si j'en doute car le constat de Samsung est tellement indigent qu'il n'établit la preuve de rien).

MAIS.

Petite particularité : le téléviseur écran éteint était dans un état impeccable (ce que les experts samsung n'avaient évidemment pas relevé). Les brisures n'apparaissaient que lorsque l'on l'allumait. Cela contredit nécessairement la thèse d'un coup porté depuis l'extérieur et dont on aurait vu le choc que l'écran soit allumé ou non (et de toute manière dans l'absolu peu importe, puisque même un choc externe peut résulter d'un défaut interne et invisible à l'achat) Un constat d'huissier (et donc des frais) a dû être réalisé pour l'établir.

Problème n°3 : "Mais si l'écran est abîmé vous l'avez accepté en signant le bon de livraison"

Argument irrecevable. D'abord les juges savent très bien que les consommateurs signent les bons de livraison sans prendre la peine de déballer les produits (qui plus est des téléviseurs géants), et surtout cela ne prend pas en compte le fait que le défaut peut être latent, invisible au déballage, pour n'apparaître que plus tard.

Problème n°4 : la patience mise à rude épreuve et le doute sur les chances de succès judiciaire

Dans certaines hypothèses, le consommateur est obligé de passer devant le médiateur de la consommation avant de porter son litige devant un tribunal.

Cette procédure est extrêmement frustrante puisque le vendeur parie sur l'abandon du consommateur devant la perspective d'une procédure qui paraît incertaine, longue et coûteuse. Les négociations amiables peuvent tourner au dialogue de sourds et la solution proposée par le médiateur extrêmement faiblarde et avantageuse pour le vendeur.

En gros dans mon dossier, après une série d'échanges d'amabilités entre le consommateur et le vendeur n'aboutissant à rien de concret, le médiateur belge (Ombudsman) proposait finalement un ridicule bon d'achat de 220 euros au bénéfice du consommateur, soit à peine 1/3 du montant total du téléviseur défectueux...

 

Dans cette perspective, le consommateur qui n'est pas conseillé peut tout à fait penser qu'une procédure judiciaire aurait toutes les chances d'échouer, si même ce médiateur prétendu indépendant lui propose une solution aussi misérable. Alors que non.

A défaut d'accord amiable sérieux, ne pas hésiter à agir en justice pour faire valoir ses droits

Finalement, j'ai obtenu une décision favorable pour ma cliente avec le remboursement intégral du téléviseur, et le remboursement des frais de justice (modiques).

Les règles sont simples : tant que le produit est dans le délai de garantie, la charge de la preuve de l'imputabilité du défaut repose sur le vendeur, les constats réalisés par les fabricants sont tellement indigents qu'ils ne prouvent rien, le consommateur doit donc au choix obtenir le remboursement, ou la réparation du produit. Et si les produits se cassent tout le temps, et que les vendeurs/fabricants n'en peuvent plus, ils n'ont qu'à vendre des produits de qualité au lieu de blâmer automatiquement le consommateur supposé responsable de tous les maux.

 

 

Publié dans Chroniques juridiques

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